mises en scène par Gil Roman, à partir de la structure dramatique conçue par Maurice Béjart pour Variations pour une porte et un soupir
La porte
Symphonie pour un homme seul
« Qu’est-ce que le temps au cours d’une œuvre sur bande magnétique, demandait Pierre Henry dans son Journal de mes sons (1979). C’est une rythmicité imposée par des durées rigides. J’entends par là, à travers des textures naturelles et vivantes, des sons entrecoupés, montés selon notre volonté, par un tempo artificiel. Et bien ce rythme, je ne dirai pas qu’on l’écrit : on le pense. On le joue. Et pour le jouer, on effectue des gestes émotionnels, saccadés, linéaires, forts, faibles : les gestes même que Béjart a inventé pour la danse. »
La rencontre est physique, elle parle à l’esprit autant qu’au corps pour autant qu’on l’aborde vierge, le regard et les oreilles grandes ouvertes. Quelles correspondances peuvent relier le danseur d’aujourd’hui, nourri de rythmes du temps présent, à cette musique qui renversa alors tous les codes, influençant tous les courants artistiques ? En ouverture de soirée, le BBL cherche sa résonnance en s’appuyant sur la structure dramatique du ballet Variations pour une porte et un soupir créé à Bruxelles en 1965 sur la musique de Pierre Henry. Mais la partition est ici confiée au groupe Citypercussion : l’originale n’est plus que l’écho de quelques sons, de bruitages intégrés, mixés dans seize nouvelles compositions jouées sur scène. La trame : sept danseurs entrent sur scène. Le chorégraphe est absent. Sur un immense tableau noir, un schéma établi mentionne, en face du titre de seize morceaux à danser (« Sommeil », « Gymnastique », « Rien » …), le ou les numéros que les artistes doivent tirer au sort pour l’interpréter – en solo, à deux, à trois… Librement.
Recherche toujours mais sur la forme avec la deuxième pièce au programme de la soirée. En 1970, pour le lancement de la saison de la Brooklyn Academy à New York, Maurice Béjart fait sensation en présentant La porte : un solo sur pointe réglé pour Maïna Gielgud sur la musique de quatre des Variations pour une porte et un soupir. Ici, Gil Roman questionne l’identité en confiant, pour la première fois, le rôle à un danseur.
Retour à l’origine en clôture de programme avec Symphonie pour un homme seul, seize ans après sa dernière représentation au Théâtre Métropole à Lausanne. Créé à Paris devant un public clairsemé le 26 juillet 1955, ce ballet révèle alors un chorégraphe dont la personnalité singulière, le talent, va révolutionner l’art du ballet. Née d’une rencontre impromptue entre le chorégraphe et les deux Pierre, cette première autobiographie d’un jeune chorégraphe laissant libre cours à ses aspirations, l’œuvre insolite le révèle au monde.
Si la chronique rapporte que la première n’a retenu que l’attention des ouvreuses, de quelques curieux et de… Serge Lifar, resté dans la capitale malgré l’été caniculaire, cette méditation sur la solitude moderne présentée sur un plateau nu, l’errance anxieuse d’un homme dans un univers citadin grouillant d’une foule anonyme et hostile, annonce le basculement (et les tourments) de la société contemporaine. Et suggère l’impérieuse nécessité de s’élever pour survivre…
Maintes fois dansée depuis sa création, Symphonie pour un homme seul fascine et bouleverse encore le public. « Que le danseur moderne, sans costume ni décor, soit sans tambour ni trompette, écrivait alors Pierre Schaeffer. Au rythme de son propre cœur, s’il est sincère, sa danse sera plus vraie » …
Jean Ellgass
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