Olivier Saudan, si loin, si près de la danse
Le mouvement est hors champ, ailleurs, le geste aussi est décadré, quelque part en train d’inscrire sa magie dans l’espace. De l’incarner. De la répéter. De la figer dans cette nécessaire précision et cette extrême maîtrise. Et même les danseurs manquent à l’appel dans la série d’Olivier Saudan. Pourtant leur présence étreint l’espace peint, logée dans les ombres de la vie, tant ses objets si familiers se fondent, anodins, dans le paysage quotidien. Un anneau. Une bouteille d’eau. Une paire de gants. Une lettre… peut-être d’amour. Fidèle à cette lecture du monde par le contour des choses, accroché à cette figuration qui ne montre pas, qui n’explique pas, mais qui trace un chemin vers une intériorité et traverse la temporalité, le choix du Morgien, Prix Sandoz 2007, pourrait paraître aventureux ! Prendre la danse comme sujet sans la laisser intervenir ? Sans suivre le mouvement dans ses multiples ? Sans la moindre trace d’un geste ? Sauf qu’en remontant à la source de ses vibrations originelles et qu’en écoutant ses battements les plus imperceptibles, c’est sur son terrain, agrégat d’humanités sublimant l’universel, qu’il la rencontre.
« Souvent on est aspiré par la perfection, cette harmonie absolue, d’ailleurs en plus de la reconnaissance de la violence physique que se font les danseurs, je le suis, mais j’ai voulu être plus près encore. De la même manière que j’ai eu l’impression de mieux comprendre Bowie, moi le fan, le jour où il est arrivé à l’atelier dans sa vieille Volvo, vêtu d’un vieux jean pour que je lui parle gravure sur bois. Comment dire, c’est presque un moment de grâce intime où on arrive au fond de la poche, là où se trouve toujours la même pièce de monnaie, la même médaille miraculeuse, le même grigri, et là… on touche à l’essentiel. » Comme la danse touche à l’essence des choses.
Cet art, Olivier Saudan l’a rencontré. Vécu même ! Au point de désirer y tracer sa voie dans un soulèvement adolescent. Il l’a encore vécu en passager clandestin des répétitions de Maurice Béjart à peine arrivé à Lausanne. À chaque fois la donne change, à chaque fois, c’est l’être qui s’enflamme. Transporté. Enchanté. Transcendé.
L’existence – il ne croit pas au hasard – lui offre ce retour en artiste dans le monde de la danse, les amours se ravivent, c’est une nouvelle strate qui s’ajoute comme il le fait avec ses propres œuvres servant toujours de lien entre passé et présent. Cette fois elle sera humaine, comme ses rapports avec la danse l’ont toujours été. Le Morgien fait entrer les êtres dans sa chorégraphie de peintre et se laisse porter en chasseur d’intimités par leur vie en mouvement. Pourquoi reproduire, pourquoi réinterpréter ce qui l’est déjà ? « À travers ce filtre de la peinture, j’ai eu l’impression de voler les objets des danseurs et un peu de leur être. Je me suis fait un vrai roman. »
Finalement, en s’éloignant de l’exégèse, Olivier Saudan s’est rapproché du cœur battant de la danse. Les objets, les fétiches jusqu’à ces petits riens qui rassurent, tous témoignent de trajectoires individuelles, mais inscrits dans un mouvement de groupe, c’est la sacralité des choses, des êtres, de leurs références qu’ils dessinent. Comme la danse !
Florence Millioud-Henriques (24heures)
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