Micha Van Hoecke est né à Bruxelles en 1944, d’une mère, russe, chanteuse et d’un père belge, artiste peintre ; un mélange de cultures et de talents qui forgeront et feront fleurir sa personnalité. Il commencera des études de danse classique à Paris avec Olga Preobajenskaja.
En 1960, il entrera dans la compagnie de Roland Petit, puis, en 1962 il rejoignit Maurice Béjart. On pourra le voir dans plusieurs films ou reportages des créations du Ballet du XXe Siècle, en particulier, Le Sacre du Printemps et Messe pour le temps présent, en Avignon, où en plus de danser, il rythme avec brio certains moments du ballet. Adolescent, il sera comédien, il jouera dans des films de Yannick Andrei, Hervé Brombergé, Pierre Granier Deferre et plus tard, de Claude Lelouch Les uns et les autres.
Micha était doté d’une voix remarquable et d’une grande fantaisie ; il pouvait, au cours des soirées, dont il était souvent le sympathique et brillant bout en train, passer, des airs traditionnels russes qui vous donnaient la chair de poule à des chansons paillardes des « Marolles » (quartier populaire de Bruxelles) avec les accents s’il vous plait… en s’accompagnant à la guitare ou en imitant, avec de multiples bruits de bouche, toutes sortes d’instruments de musique.
Il est impossible d’oublier sa composition extraordinaire de Petrouchka dans le ballet Nijinski, Clown de Dieu, aux côtés de Jorge Donn, Suzanne Farrell, Victor Ulatte, bien sûr, et des autres avatars du grand danseur russe, Le Spectre de la rose, incarné par Paolo Bortoluzzi et le Faune incarné par Daniel Lommel. On pourrait ajouter une longue liste de ballets où Micha tenait aussi un rôle important : Baudelaire, Symphonie pour un homme seul, Roméo et Juliette, Golestan ou le Jardin des Roses etc. Tout cela permettrait de supposer qu’il a dû être de ceux qui ont inspirés Maurice Béjart pour la création de Mudra. Bien sûr, Béjart était depuis longtemps dans cette recherche de « Théâtre total » et il lui fallait de nouveaux interprètes.
« Centre européen de recherche et de perfectionnement des interprètes du spectacle », c’est ainsi que Mudra était défini à sa création en 1970, même si Mudra signifie «geste» en sanscrit. Micha était curieux de tout ce qui s’y passait, et très vite il se lia très fortement et fraternellement avec les élèves et les professeurs, en particulier avec Fernand Shirren, le génial professeur de rythme de Mudra.
Maguy Marin devint vite la compagne de Micha et les liens qu’il avait créés avec les « mudristes » lui donnèrent envie de fonder une compagnie avec ceux qui le désiraient. Dès l’été 1972, il avait déjà engagé des « mudristes », encore en formation, pour une création en Avignon sur le thème d’Antigone aux côtés de Caroline Carlson et de Larrio Ekson. C’est ainsi qu’en 1973 est née la compagnie « Chandra » (la lune en sanscrit). S’y joignit Dominique Bagouet, un autre grand disparu, qui pensait avoir fait son temps dans la compagnie de Maurice. Béjart fit une création, comme cadeau de baptême inspirée par « Les Tarahumaras » d’Antonin Artaud, et Micha créa Les Vallées du songe inspirée par la poésie russe.
Ces deux « Ballets-théâtres » constituèrent le programme des premières tournées de cette jeune compagnie. Ce fut une aventure de courte durée, car après un peu plus d’un an, plusieurs éléments de cette première promotion avaient envie de voler de leurs propres ailes. C’est aussi pendant cette période que Micha créa Sequenza 3 sur la musique de Luciano Berio, qu’il interpréta avec Maguy Marin. « Chandra » dissout, Micha réintégra la compagnie et Maguy Marin le rejoignit. Ce fut l’époque de « Yantra », groupe créé par Maurice Béjart au sein du ballet, qui donnera naissance, entre autres, à Notre Faust. Maguy y interprètera Faust enfant et très vite Micha remplacera Maurice dans un des deux rôles principaux, avec Yann Legac. Il le fit également avec brio ; on y découvrit un Micha, interprète puissant et grand comédien. Puis, il y eut une autre consécration inoubliable : le personnage d’Offenbach dans la Gaîté parisienne… une synthèse extraordinaire des multiples talents et facettes de Micha. Sa danse était brillante et espiègle, et elle pouvait souvent faire fi des canons classiques.
Pendant toute cette période Micha fera également des créations pour le Ballet du 20ième siècle : Les Mariés de la Tour Eiffel, la Valse de Ravel, La Rapsodie Espagnole, etc. À cette époque, Maurice Béjart donnait carte blanche, à chaque saison, aux danseurs qui le souhaitaient et leurs créations étaient présentées à la petite salle de la Monnaie. Durant ces soirées intitulées « Jeunes chorégraphes », Micha avait marqué les esprits avec plusieurs d’entre elles, en particulier avec Le journal d’un fou, d’après une nouvelle de Nicolas Gogol.
Il était logique que Maurice confie un jour son école Mudra à Micha. Ce qu’il fit de 1979 à 1981. C’est aussi l’occasion de parler de la sœur jumelle de Micha, Marina, personnalité remarquable, disparue, elle aussi, et qui enseigna la danse classique de nombreuses années à Mudra ainsi qu’au Conservatoire de Danse de Bruxelles.
Micha était un créateur, de plus en plus intéressé par ses propres créations et certainement moins par la pédagogie. En 1981, il mit sur pieds une nouvelle compagnie, « l’Ensemble », avec les meilleurs éléments de Mudra de l’époque et il s’établit à la Maison de la Culture de Tournai. Monsieur, Monsieur fut le premier ballet qu’il créa pour cette nouvelle compagnie. En 1984, il s’installera en Italie avec sa compagnie et y restera jusqu’à sa disparition le 7 août 2021. Il y réglera de nombreuses chorégraphies pour « L’Ensemble » collaborera avec la Scala de Milan, le Teatro Verdi de Pise, le San Carlo de Naples, le Festival de Montepulciano, le Mai musical florentin, également avec la Compagnie Victor Ullate, l’Opéra d’Athènes, etc.
Il entretiendra à partir de 1990 une étroite collaboration avec le Festival de Ravenne où il fera des mises en scène : La Muette de Portici d’Auber en 1991. De 1997 à 2002, il sera coordinateur artistique et chorégraphe principal du Ballet du Teatro Massimo de Palerme, également du festival de Castiglioncello. En tant que metteur en scène il signera également plusieurs productions du Festival de Ravenne (Carmen, Macbeth, Faust) et à l’Opéra de Rome (Aida, Carmina Burana). De 2010 à 2014, il a été directeur du Ballet du Théâtre de l’Opéra de Rome. Il a en outre collaboré avec les plus grands interprètes, Carla Fracci, Alessandra Ferri, Ute Lemper, Luciana Savignano, et avec de grands réalisateurs comme Luca Ronconi, Liliana Cavani, Claude Lelouch ou Roberto De Simone.
Nous regretterons longtemps cet artiste polyvalent et prolifique, doté d’une personnalité charismatique, d’un caractère généreux et bienveillant. C’était un être possédant une grande âme, et une culture raffinée. Il avait un sens profond du théâtre. Ses créations dégageaient toujours un parfum de poésie : beauté, délicatesse, grandes émotions et humour étaient toujours au rendez-vous. Il avait également un grand sens de la dérision, de l’autodérision, car s’il faisait « les choses » très sérieusement, c’était sans se prendre au sérieux.
La disparition de Micha van Hoecke provoque une grande douleur chez ceux qui l’ont connu, aimé et apprécié. Nous présentons nos condoléances à Miki Matsuse, celle qui a été à ses côtés, pendant de longues années, comme compagne, interprète et collaboratrice.
– Alain Louafi
Cette fonction a été désactivée